Depuis que je m’intéresse à la course à pied, je n’étais jamais allé au delà du semi-marathon. Par manque d’entrainement et de motivation, il faut l’avouer. Il y a de ça 1 an et demi, j’ai fait la rencontre d’une équipe de passionnés un peu particulière : la Crewstach. Un collectif de furieux du running qui s’efforcent de porter la moustache à chaque course pour un soit disant meilleur aérodynamisme…L’objectif étant de courir le maximum de courses dans l’année, c’est donc naturellement que nous nous sommes préparés puis inscrits sur la SaintéLyon 2013.

Pourtant sportif, je ne m’étais pour autant jamais aventuré dans une épreuve ultratrail, qui plus est nocturne. Rendez-vous était donc pris le 8 Décembre à minuit depuis la ligne de départ de la SaintéLyon. Cette course mythique, dont c’était la 60ème édition cette année, consiste à rallier Saint-Étienne à Lyon de nuit. Plus de 12 000 participants à l’euphorie collective. 75 km d’efforts, 1 800 mètres de dénivelé. 56% de chemin pour 44% de bitume.

Crédit photo : Gilles Reboisson

Nous y voilà donc. Le bus pris à Lyon en compagnie de l’équipe, nous sommes en route pour Saint-Étienne. La semaine a été reposante. Une hygiène de vie irréprochable, de bonnes nuits de sommeil, beaucoup d’eau avalée, un régime spécial marathon mis en pratique. Le grand gymnase qui nous accueille nous plonge d’entrée de jeu dans une ambiance particulière : une vraie fourmilière. Je croise Nicolas – qui m’épate régulièrement avec ses exploits sportifs – et même Antranik que j’étais allé voir lors de sa dernière conférence sur Lyon. L’impatience se lit sur leurs visages…

20h30. C’est le moment du dernier repas et on se concentre sur les dernières centaines de grammes de pâtes avaler, la ligne de départ n’est à présent plus très loin…

23h57. 3 minutes avant la départ. Deux dossards manquent à l’appel. Le speaker nous rappelle la déclaration faite par l’un d’entre, Sébastien Bresle (terrassé par un cancer cette année et hauteur d’une exceptionnelle 5ème place en 2012 alors qu’il était sous traitement chimio) au Progrès en 2011 : « S’il me reste 5h30 à vivre, je cours la SaintéLyon« . Ambiance.

Comment ne pas aller au bout de soi juste après avoir entendu ça ? Simplement à titre d’hommage envers cet athlète et de respect envers ceux qui souffrent ? Nous voilà donc gonflés à bloc, prêts à en découdre avec le froid, la neige, la boue, j’en passe et des meilleures.

Nous partons convenablement, aux alentours de 11km/h. Il va falloir tenir toute la nuit, pas la peine de se mettre dans le rouge d’entrée de jeu.

7 kilomètres de bitume pour se mettre en jambes et rentrer dans le rythme. Et déjà les premiers signes d’impatience pour les moins expérimentés d’entre nous (dont votre humble narrateur), en quêtes de chemins boueux, de neige et de montées redoutables.

Nous ne serons pas déçus du voyage. Au kilomètre 10, les chaînes sont de sorties et je ne regrette pas en avoir dans mon sac. Les plus téméraires (ou les moins prévoyants, c’est selon), se lancent sur les plaques de glaces à même leurs semelles de chaussures. Ça glisse, ça rigole, l’ambiance est au rendez-vous. Au détour des petits hameaux traversés, des spectateurs bravant le froid polaire nous transmettent une énergie hors du commun.

Crédit photo : Gilles Reboisson 

Ces 75 km entre Saint-Étienne et Lyon, je les avais préparés depuis des semaines en compagnie de mes compagnons de foulées. Blessé malchanceux des derniers entrainements, c’est avec une tendinite que j’avais cependant du m’aligner sur la ligne de départ. Anxieux dès le départ, je fus agréablement surpris de constater que les 30 premiers kilomètres se passèrent très bien. À cet instant, je me sens bien et nous avançons à un bon rythme. Nous formons à présent un petit groupe de 4 coureurs.

Crédit photo : Gilles Reboisson 

Un raid nocturne apprend au coureur à rester humble à chaque instant envers la route. Un pas de travers, une glissade, une mauvaise chute, et c’est l’abandon. La concentration est permanente, les yeux rivés sur le sol.

Au 35ème kilomètre, tout bascule. La douleur me prend fortement et mon pied droit commence à émettre de petits couinements qui font tout sauf me rassurer. Pire : je panique un peu. D’une part, je n’ai jamais couru au delà d’une telle distance, et d’autre part, il me reste un peu moins d’un marathon à tenir avec un pied défectueux. C’est l’inconnu dans toute sa splendeur.

Crédit photo : Gilles Reboisson 

Au ravitaillement de Saint-Genoux, je croise Antranik qui a l’air de sacrément en baver aussi avec son genou (!). Mais il s’accroche le bougre. Côté Crewstach, les pôles sont a présent inversés. À partir de cet instant, chaque foulée me sépare un peu plus de mes compagnons de course qui me distancent à présent de plusieurs dizaines de mètres. Je leur dis de ne pas m’attendre, je n’arrive plus à les suivre.

Au 45ème kilomètre, je commence à sérieusement lutter et essaye de soulager au mieux ma cheville droite via des appuis plus soutenus côté gauche. À l’entrée de Soucieu-en-Jarrest, je discute un instant avec un coureur à ma hauteur. Il a mal au genou mais fait preuve d’une détermination bluffante. J’ai discuté 30 secondes avec ce parfait inconnu qui serrait les dents, mais à un tel moment et alors que le soleil se levait, il est devenu en une fraction de seconde mon meilleur ami.

Crédit photo : Gilles Reboisson 

Nous en sommes à présent à 8 heures de course et il reste 25 kilomètres à avaler. Sauf miracle, je sais que je suis à présent destiné à finir la course seul de mon côté.

Kilomètre 50. A cet instant, la Crewstach n’est plus qu’un long serpentin d’aventuriers perdus entre Saint-Étienne et Lyon. Les groupes s’étaient formés dès les premiers kilomètres et subsisteront toute la nuit.

À l’arrivée de l’avant dernier ravitaillement, je tremble et n’ai pas d’autre choix que de dégainer la couverture de survie. Alors que je suis toujours à grelotter 5mn plus tard, un membre des soins médicaux vient me voir et m’invite à prendre place à côté d’une dizaine de personnes dans le même cas. A cet instant, mon sang ne fait qu’un tour et je comprends qu’il s’agit en parti de ceux qui ont pris la décision d’abandonner.

Si je suis cet homme, c’est terminé. Sans le savoir, il vient de me donner l’ultime électrochoc qu’il me fallait pour reprendre la course.

Cet à cet instant précis que je débranche le cerveau. Tant bien que mal, je me relève, sors l’ultime t-shirt sec de mon sac à dos, enfile une paire de gants supplémentaires et quitte le gymnase et hurlant secrètement en moi qu’il est hors de question d’abandonner.

Je suis fébrile mais je suis encore debout. Je savais que cette course allait être une épreuve physique d’envergure au vu de mon état et je ne m’étais pas trompé.

Les deux premiers kilomètres sont véritablement atroces et je boite emmitouflé sous une couverture de survie qui me confère le statut d’extra-terrestre parmi les riverains venus nous encourager. En dix minutes de pause seulement, les muscles ont eu le temps de se refroidir et voilà qu’il faut inverser au plus vite la tendance pour effacer la douleur.

Les 15 prochains kilomètres nous voient traverser les campagnes de l’ouest lyonnais, au milieu des chevaux et des vaches. La folie du départ de Saint-Étienne est bien loin maintenant. Alors que les candidats à la ligne d’arrivée défilent au son des chants de coq, il règne un silence presque religieux que seul le bruit des foulées vient troubler.

Crédit photo : Gilles Reboisson

Les choses se compliquent sur les 5 derniers kilomètres. Alors que je me trouve à présent sur les balcons de la Mulatière, mes parents venus m’encourager sur la route me fournissent les derniers efforts nécessaires. Mon père m’accompagne même en vélo jusqu’au pont qui nous mènera au palais des sports de Gerland. À cet instant, la selle d’un VTT me paraît être l’endroit le plus confortable au monde.

Il est 10h55, je viens de terminer la rédaction de cet article mais ce n’est encore qu’un brouillon dans ma tête. Je m’accroche à tout regard bienveillant que je croise sur la route comme sur la béquille qui me permettrait de ne pas flancher. Les deux derniers kilomètres me paraissent interminables.

1 kilomètre avant l’arrivée. Ça y est. Je pénètre dans le parc des Berges. Le soleil rayonne et cela fait bien longtemps que je n’ai plus froid. « Bravo ! Elle est à vous la SaintéLyon ! » me glisse chaleureusement un passant. J’esquisse un sourire et son clin d’œil en retour est immédiat. S’il s’était trouvé un kilomètre plus loin je l’aurai certainement emmené boire une bière.

150 m avant l’arrivée. Je ne sens plus la douleur, je gambade presque comme au premier kilomètre. Les applaudissements de la foule me portent vers le palais des sports de Gerland. Il n’y a plus de fatigue, la montée d’adrénaline de la dernière ligne droite est surprenante et jouissive. Un ami court avec moi les derniers mètres…

C’est fini ! 11h10 de course. Je suis heureux d’être allé au bout de cette épreuve mais surtout au bout de moi-même. Je ne pense même pas au temps qu’il va me falloir pour récupérer, je m’en fiche. Je ne pense pas non plus aux 10 heures que je m’étais à la base fixé. Je m’empresse de retrouver et féliciter les survivants de la Crewstach (5 blessés / abandons au total pour 11 arrivants).

Le plus rapide de notre équipe mettra 9h07. Le vainqueur de l’épreuve 5h32.

Je m’endormirai chez moi, à 14h00, comblé par tant d’efforts physiques. La Saintélyon, j’y reviendrai en 2014, c’est une certitude. Et si l’aventure ne vous dit rien, jetez un coup d’oeil au reportage que j’ai réalisé de cette nuit de folie et venez courir avec nous en 2014 !